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Entretien avec Baptiste Trény, fondateur de Créateur de Forêt

La société Créateur de forêt se fixe deux objectifs : créer des écosystèmes favorables à la préservation de la biodiversité sur le long terme, reconnecter les individus à la nature. Avec l’appui de différents partenaires locaux (associations naturalistes, forestiers, agriculteurs, etc.), Baptiste Trény et son équipe conçoivent des forêts sur des terrains transmis par des communes ou qu’ils ont achetés. Ils y plantent des arbres de différentes tailles afin de (re)créer des écosystèmes et (re)créer des mailles écologiques dans les paysages ciblés.
L’entretien mené avec Baptiste Trény, fondateur de cette société, permet d’en connaître plus sur les activités développées et les projets en cours.

 

  • Comment choisissez-vous les sites sur lesquels vous réalisez les plantations ?

Créée en 2021, notre entreprise a pour objet de créer des projets de biodiversité, qui vont au-delà du seul (re)boisement. Nous intervenons sur des terrains appartenant à des collectivités (communes, agglomérations, etc.), que nous souhaitons protéger juridiquement via l’ORE. Nous les choisissons selon deux critères: la superficie de la parcelle, l’utilité du projet.

Équipe © Créateur de Forêt

La taille des terrains est limitée par un « plancher écologique » et un « plafond financier ». Nous intervenons ainsi sur des parcelles comprises entre 1 ha, que l’on considère comme correct pour travailler sur la notion d’écosystème, et 2 ha car au-delà, cela représente un budget encore trop important pour nous pour le moment. Pour autant, nous nous engageons d’ores et déjà sur des projets de plus grande ampleur, comme en Dordogne où nous nous intéressons à un terrain communal de 6 ha qui a fait l’objet d’une coupe rase.
Tous les terrains ont une valeur environnementale (friche, prairie, etc.). Nous intervenons uniquement si nous considérons, nous et les écologues qui nous accompagnent, que notre action va améliorer la biodiversité du site sur du long terme. Nous ne plantons pas des arbres seulement parce que « c’est une belle action ». Bien qu’élément indispensable d’un écosystème, l’arbre n’est pas l’unique réponse à apporter dans nos projets. Nous souhaitons créer des projets diversifiés (clairière, bosquet dense, mares, haies, etc.).

 

Pour résumer, nous cherchons des terrains d’au moins 1 ha et sur lesquels nous considérons notre action comme intéressante d’un point de vue écologique.

Au lancement de l’entreprise, nous ne possédions pas de terrain et avions besoin d’un exemple pour montrer que notre projet était faisable. J’ai donc contacté et rencontré de nombreuses communes, en participant notamment à une trentaine de conseils municipaux. Aujourd’hui, ce sont les communes qui nous sollicitent pour nous proposer des terrains et nous avons dû limiter notre développement à 8 projets sur 5 départements pour 2022 et 2023. Plus que « créateur de forêt », nous nous pensons comme des « promoteurs de biodiversité » : trouver un terrain, le faire financer par des clients (entreprises et particuliers) et rassembler un écosystème de métiers pour engager la construction du projet (écologues, forestiers, agriculteurs, associations environnementales, chantiers d’insertion, lycées et écoles, etc.). L’une des forces de notre entreprise est de n’avoir aucun a priori ou idée arrêtée, et de fédérer plusieurs talents du territoire.

 

  • Combien de projets ont été réalisés ?

Le projet mené dans la plaine d’Argenson est notre prototype et reste le seul projet observable pour l’instant.
Nous travaillons aussi sur une parcelle triangulaire d’1 ha, bordée de haies et entourées par des terrains agricoles, située à Surgères. Selon les agriculteurs, elle n’est pas charutable car le sol est très caillouteux. Cédée à la commune, elle est devenue un terrain vague que la commune veut redonner à la nature tout en servant de lieu de sensibilisation à la biodiversité. Nous allons planter un bosquet, composé de 800 arbres, préserver la haie champêtre et laisser une clairière au centre (https://www.createurdeforet.fr/creations/landrais-17/).

Plantation © Créateur de Forêt

Nous lançons aussi un îlot de biodiversité sur une ancienne station d’épuration dont la parcelle d’1.3 ha, appartenant à la commune de Vern-sur-Seiche (agglomération rennaise), est une prairie sur laquelle aucune gestion n’est réellement faite, hormis les deux fauches annuelles. Notre intervention va donner une nouvelle vie à cet espace en valorisant la prairie et en créant un bosquet avec des essences de différentes tailles. Validé par le conseil municipal, le projet vient d’être annoncé et nous avons d’ores et déjà rencontré une association locale (La Parvole). Nous réfléchissons avec elle aux espèces à planter, à la manière de préparer le terrain et la période la plus appropriée pour intervenir (https://www.createurdeforet.fr/creations/vern-sur-seiche-35/).

Nous allons également intervenir sur un terrain de 2 ha appartenant à l’agglomération niortaise et situé entre deux parcelles agricoles. Ancienne décharge de déchets inertes, le projet permettra de préserver le bosquet déjà présent et de reboiser avec des arbustes. Soutenu financièrement par le Niort Rugby Club, il y a un intérêt que nous intervenions sur ce terrain abîmé tant au niveau de la sensibilisation des entreprises et écoles locales que pour améliorer la qualité du sol.

Enfin, nous étudions un projet en Gâtine sur une zone de captage d’eau potable. Propriété du Syndicat des eaux du Centre-ouest (SECO), l’un des objectifs de notre intervention est de dépolluer les sols via la phytoremédiation.

 

  • Comment sont financés les projets ?

Pour engager les personnes dans des projets environnementaux, il est important qu’elles y participent, agissent très concrètement. Nous recherchons uniquement des fonds privés (entreprises, particuliers) pour être dans cette dynamique et pour éviter d’être en concurrence avec certains de nos partenaires en sollicitant les mêmes financements publics.
Les dépenses associées au projet sont multiples : les aspects juridiques de l’ORE, la conception de visuels, la préparation du terrain, l’achat des plants et du matériel (tuteurs, protections, paillage, etc.), la logistique, le suivi écologique, l’entretien, etc. Par exemple, un projet comme celui de la plaine d’Argenson coûte 30000€ pour 1 ha sur 6 ans, soit 3€/m².

Les entreprises sponsorisent les projets à hauteur de 5€ HT/m², soit 6€ TTC et participent pour des raisons très diverses : la sensibilité à la biodiversité, l’effet de communication, etc. A ce jour, 64 entreprises participent de manière différente : cadeau de naissances, vente de produits, pack de bienvenue, programme de fidélité, etc.
Les particuliers peuvent financer à hauteur de 6€ TTC/m². En 2021, nous avons mis en place un financement participatif via la plateforme régionale « J’adopte un projet », ce qui nous a permis de récolter plus de 500 contributions. En plus de ce financement participatif, nous allons proposer d’autres formes de participations pour les particuliers. Au-delà du montant versé par chacun, c’est le nombre de personnes qui nous importe. Nous aimerions pouvoir dire et prouver que nos projets sont fédérateurs.

 

FOCUS SUR LA PLAINE D’ARGENSON

  • Pouvez-vous nous décrire le projet ?

Il est particulier car le terrain n’appartient pas à la commune mais à notre entreprise, en tant que personne morale. Nous avons acheté ce terrain de 2 ha car nous avions besoin d’un projet de démonstration. J’ai été contacté par les propriétaires qui avaient eu connaissance de « Créateur de forêt » via la presse et avaient hérité de ce terrain. Elles avaient fait couper l’intégralité des arbres et s’étaient rendu compte que la plantation d’arbres est plus onéreuse que l’achat du bois coupé. Ce terrain présente aussi une part de symbolique en étant rattachée à la sylve d’Argenson, forêt située entre Benon et Angoulême.

Plaine dArgenson_Février 2021 © Créateur de Forêt

Les échanges avec Alain Persuy, écologue reconnu en Nouvelle-Aquitaine, nous ont permis de bâtir le projet : nous avons planté 1500 arbres sur 2 ha et gardé l’ensemble des pousses naturelles (quasiment 3 000m²). Nous avons réalisé un enrichissement important via d’autres espèces que des résineux et donc construit un projet diversifié. Les essences utilisées sont considérées comme capables d’absorber une hausse de température de 3-4 °C dans les 50 années à venir et comme adaptées à notre région. Nous avons ainsi travaillé sur une trentaine d’essences, dont 27 conseillées par Alain dans des proportions différentes (chêne vert, poirier sauvage, cormier, etc.) et 3 dans d’infimes proportions que j’ai choisies pour faire des tests (comme l’amandier sauvage).
En amont, nous avons préparé le terrain pour le rendre praticable et faciliter les plantations. J’ai contacté une entreprise pour préparation forestière en lui demandant de réaliser les travaux le plus tardivement possible (octobre) et de laisser sur place les pousses naturelles. Une association d’insertion du Marais poitevin a réalisé du mobilier (bancs et tabourets) avec les souches laissées sur place, pour délimiter des zones de travail et permettre aux écoles de venir y faire l’école dehors. Les autres déchets ont été rassemblés en tas de bois (ou andains forestiers) dispersés à différents endroits de la parcelle pour créer des habitats favorables à la faune.

Nous réalisons des projets « éco-sociaux conçus » qui ont une externalité positive avec l’ensemble des partenaires recherchés. Nous souhaitons montrer qu’il est possible de faire de l’écoconception en plantant des arbres. On peut très facilement planter un chêne venant du Kazakhstan, acheter un tuteur venant de Roumanie et du paillage non bio, utiliser des protections en plastique qui vont produire des microparticules. Ne souhaitant pas fonctionner de cette manière, nous achetons les essences d’arbres à Prom’haies (pour aller le plus possible dans le sens du label « Végétal local ») et nous fournissions auprès d’une scierie des Deux-Sèvres pour des piquets en châtaignier. Nous venons de trouver un nouveau partenariat avec une ressourcerie. Nous récupérons des poches ostréicoles réemployées, fournies par un chantier de réinsertion, pour monter les protections des arbres (identique à l’expérimentation menée sur le territoire du PNR du Marais poitevin). L’université de la Rochelle va mener une étude sur l’impact de ce matériel sur le sol (rejet de microparticules de plastique). Le paillage est en lin bio, matière intéressante qui se dégrade lentement et achetée à un agriculteur local. Les essences ont été plantées par une classe de secondes du lycée horticole de Niort (chantier école) et des élèves de l’école primaire de la Plaine d’Argenson. L’animation autour de la plantation a été portée par le lycée agricole de Melle.

L’entretien de la parcelle est réfléchi pour 6 ans. Il concerne essentiellement les protections, le paillage et un nettoyage autour des arbres pour éviter que la végétation n’étouffe les individus fraîchement plantés. Au terme de cette période, notre gestion deviendra de la « non gestion » ou uniquement des interventions de sécurité (les individus qui pourraient être coupés seront laissés sur place).

Le terrain de Plaine d’Argenson, comme d’autres projets à venir, n’est pas voué à être mis sous cloche mais à être utilisé comme une zone de sensibilisation, d’expérimentation (proposer aux écoles d’y mener « l’école dehors » par exemple).

Pour en savoir sur ce projet :
https://www.createurdeforet.fr/creations/plaine-argenson-79/
https://youtu.be/YyGsaJcrqFc

 

  • Est-ce qu’une ORE est d’ores et déjà contractée pour la plaine d’Argenson ?

Notre acte est préparé, nous avons le contenu, le notaire mais pour le moment aucune ORE n’est encore signée car notre entreprise est propriétaire du terrain. Il nous faut trouver une seconde partie avec qui mettre en place cette servitude environnementale. Plusieurs structures pourraient constituer l’autre partie signataire (par exemple CNRS Chizé, CEN Nouvelle-Aquitaine, DSNE). Je pense que nous allons la signer avec le CEN Nouvelle-Aquitaine, qui vérifiera que nous respectons nos obligations sur du long terme. Nous avons déjà signé une ORE en Charente Maritime avec la commune de Landrais.
Nous commençons à bien appréhender ce document et bien que l’ORE demande l’implication de deux parties, nous conseillons maintenant aux communes, avec lesquelles nous travaillons, qu’il y en ait trois : la commune (propriétaire), Créateur de forêt (gestionnaire) et un garant du bon respect des obligations. Nous allons privilégier ce système pour les projets signés avec les communes de Vern-sur-Seiche (35), Saint-Martin-de-Saint-Maixent (79), Prahecq (79), avec qui nous sommes en train de rédiger d’autres ORE.

 

  • Quels suivis écologiques vont être réalisés sur le site ? Quels en sont les objectifs ?
Plaine dArgenson_Projection à 5 ans © Créateur de Forêt

Quatre suivis sont mis en place sur la plaine d’Argenson et un 5ème reste à valider. J’ai à cœur d’expliquer aux gens qu’ils ont financé un arbre et plus largement du vivant. Le suivi s’adresse donc aux clients, 560 particuliers et 55 entreprises ayant financé le projet, pour qu’ils mettent des noms sur les espèces présentes. Nous adresserons, pendant 5 ans et 4 fois par an, un suivi du projet via des supports écrits et illustrés, qui seront également disponibles sur le site Internet de l’entreprise.

La Société mycologique du massif d’Argenson s’occupe de la fonge, le GODS suit les espèces d’oiseaux (un suivi généraliste via l’écoute et un suivi plus spécifique), DSNE étudie la biodiversité et plus particulièrement la végétation, les orthoptères et les mammifères. Des suivis « papillons » et « abeilles sauvages » pourraient être portés par le CNRS. En tant qu’apiculteur, j’adore cette idée de montrer qu’il existe bien plus de pollinisateurs que l’on peut l’imaginer (quasiment 300 espèces d’abeilles sauvages en Deux-Sèvres sur les presque 900 connues en France).

Enfin, je souhaite montrer la beauté de la nature via un suivi « beau » grâce à des photos (ronce, lierre, fougère, insectes, etc.), car je crois que l’on devrait juste protéger, respecter et aimer la nature car elle est simplement belle, diverse, complexe et bien vivante.