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Entretien avec Christophe Coïc, directeur de Cistude Nature

Coordonné par l’association Cistude Nature, le programme de recherche-action « Les sentinelles du climat » vise à comprendre les effets du changement climatique sur la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine. Rassemblant des acteurs multiples, il étudie le comportement de milieux naturels et d’espèces à faible capacité de déplacements face à ces changements. Des premiers résultats commencent à apparaître, notamment vis-à-vis des individus indigènes des Pyrénées. Avec l’ensemble des partenaires, Cistude Nature souhaite poursuivre le programme, en faisant évoluer le protocole expérimental et en s’intéressant à d’autres milieux.

 

1) Pour appréhender du mieux possible le programme, pourriez-vous nous expliquer la genèse des « Sentinelles du climat » ?

Soulac – Érosion placette © Cistude Nature

A l’initiative de la Région Nouvelle-Aquitaine, le comité scientifique pluridisciplinaire AcclimaTerra a rédigé deux rapports concernant les effets du changement climatique dans notre région et les anticipations possibles. Tout comme dans une bibliographie plus large, la biodiversité y était peu abordée. De plus, en France, la grande majorité des suivis naturalistes réalisés se focalisaient sur les espèces et s’intéressaient finalement peu aux milieux. Or, évoluant dans un environnement vivant, les individus n’en sont pas déconnectés.

Une réflexion menée avec le Conservatoire botanique national Sud-Atlantique (CBN SA) a été de réfléchir à l’impact du changement climatique sur la biodiversité. Nous avons donc décidé, dans le cadre du programme, de nous intéresser à cette thématique en Nouvelle-Aquitaine en ciblant des grands milieux (montagnes, dunes, tourbières, milieux humides, massifs de la Dordogne ou du Limousin, etc.) et des espèces dites sentinelles. Par exemple, l’Azuré des moulières est un papillon qui se déplace très peu (une haie peut constituer un obstacle) et dont le cycle de vie dépend de deux espèces (gentiane et fourmi) : qu’adviendra-t-il du lépidoptère si la plante avance sa période de floraison ou ne fleurit pas ?
Sur chacun des sites identifiés, les suivis et observations naturalistes ont été couplés à des stations météo pour avoir des relevés plus fins que ceux prodigués par Météo France (mailles de 10km x 10km). La difficulté a été de trouver des milieux qui ne soient pas transformés pendant la durée du programme (aménagements, plantations, cultures) ou qui soient gérés, et qui puissent librement évoluer.

 

2) Débuté en ex-Aquitaine, le programme a été déployé en ex-Limousin en 2017. Comment cela s’est-il passé et qu’en est-il en ex-Poitou-Charentes ?

Ayant débuté en 2016, le programme a été lancé en ex-Aquitaine avec des sites et des partenaires déjà identifiés. En termes de financements, nous avons été appuyés par différentes institutions (le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, l’Europe via le FEDER, les Conseils départementaux de la Gironde et des Pyrénées-Atlantiques). Nous avons travaillé, par exemple, avec le Groupe Mammalogique et Herpétologique du Limousin (GMHL) en ex-Limousin car cette région représente une frontière entre les espèces dites nordiques (ex : Rainette verte) et les espèces dites sudistes (ex : Rainette méridionale),afin d’observer leurs mouvements entre leurs zones naturelles de répartition.
Aucun suivi n’a été réalisé en ex-Poitou-Charentes parce d’autres travaux y ont été mis en place, notamment par le CBN SA.

 

Convallaria majalis © Émilie Vallez

3) Pouvez-vous donner plus de précisions concernant les protocoles que vous avez mis en place lors du programme (méthodologie, matériel, types de données récoltés) ?

Nous avons choisi 250 sites (ENS gérés par les Départements, sites appartenant au Conservatoire des espaces naturels Nouvelle-Aquitaine, réserves naturelles) sur lesquels les suivis ont été faits le long de transects. Par exemple, pour les papillons de jour, nous matérialisons une ligne avec des piquets et comptons ce que nous observons dans un tunnel imaginaire de 1m x 1m qui suit cette ligne. Les espèces variant suivant les saisons, il a été nécessaire de répéter les opérations au cours de chaque saison et pour chaque cortège choisi, de manière à obtenir le maximum de données.
En gardant comme principales cibles les habitats et les milieux, les suivis ont été réalisés par différents partenaires du programme, de manière à croiser plusieurs disciplines. Ainsi, le CNRS et le CBN SA se sont intéressés au volet flore ; une thésarde, rattachée à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, a travaillé plus particulièrement sur des espèces pyrénéennes (Grenouille des Pyrénées, Lézard gris) ; une autre thèse a été menée en géographie, avec l’UMR Passages, sur la question d’habitats et d’évolution de milieux.

 

 

4) Quelles espèces et/ou groupes d’espèces ont été suivis ? Quelles sont leurs principales caractéristiques écologiques ?

Une vingtaine d’espèces et de groupes d’espèces ont été suivis (mammifères, reptiles, insectes, amphibiens, végétaux). Nous avons rencontré des aléas

Grenouille des Pyrénées © Cistude Nature

(par exemple, le suivi des micromammifères n’a pas été probant dans le Massif landais) et avons dû abandonner des suivis car chronophages, trop coûteux ou nécessitant plus de matériel. D’autres n’ont rien donné au bout de 2-3 ans car les espèces en question étaient difficiles à suivre.
Les espèces choisies sont plutôt des espèces à mobilité réduite. Par exemple, le Lézard vivipare se trouvera en difficulté si les lagunes présentes sur le massif landais venaient à disparaître. Autre exemple, la Grenouille des Pyrénées est une espèce torrenticole et endémique des Pyrénées (seulement présente dans cette chaîne montagneuse, au niveau de trois torrents français et une quinzaine du côté espagnol). Considérée comme l’un des amphibiens les plus rares d’Europe, cette grenouille brune s’est retrouvée coincée dans cet environnement lors de la dernière glaciation et a donc besoin du froid pour exister.

Accentué en Gironde avec les épisodes de fortes chaleurs et d’incendies de l’été 2022, la question de la mobilité réduite peut être variable, notamment pour des groupes comme les papillons. En effet, nous avons observé des remontées fulgurantes de certaines espèces, comme le Grand Porte-queue dont la plante hôte est l’arbousier.

 

5) Quels sont les principaux résultats mis en lumière au cours du programme ?

Nous rencontrons une difficulté majeure. En dehors des espèces sentinelles,les données naturalistes montrent des lacunes (perte de données par manque de traçabilité ou de publications) et la connaissance est récente. Or, nous connaissons l’importance des suivis longs et répétés.
L’Office national des forêts (ONF) et le CBN SA réalisent des suivis depuis un certain temps sur la dune, constituant un état initial que nous prenons en compte dans les études menées dans le cadre des « Sentinelles du climat ». Pour l’Apollon, papillon de montagne, des données ont été référencées sur la quasi-totalité de la chaîne pyrénéenne ibérique par un entomologiste, dans les années 1970, ce qui nous permet de vérifier sa présence et d’évaluer l’évolution de ses populations sur plusieurs décennies.

Des premiers résultats montrent des effets que nous pourrions corréler au changement climatique. Des cortèges de plantes remontent vers le nord, les mouvements de la dune font apparaître des espèces qui n’avaient pas été observées jusqu’alors. Pour la marmotte, c’est plus difficile à percevoir. Ce mammifère hiberne et a donc besoin de faire des réserves comme l’ours. En cas d’hivers doux voire chauds, la marmotte a des difficultés pour hiberner, se réveille, bouge et dépense donc plus d’énergie. Les femelles ont moins de petits ou avortent plus.
En 2021, des Grenouilles des Pyrénées et des Calotritons adultes (espèces endémiques de ce massif montagneux) ont été retrouvés morts dans trois cours d’eau espagnols, la cause révélée après analyse étant un virus à priori lié au changement climatique. Nous n’avions pas anticipé ce type de paramètre.
Concernant la Grenouille des Pyrénées, nous nous posons des questions relatives à la pérennité de l’espèce et la possible intervention humaine. Est-ce qu’on la conserve ? Comment ? Est-ce qu’on intervient ? A quel niveau ?

 

Exposition itinérante © Cistude Nature

6) Au-delà des sphères scientifique, politique et professionnelle, comment le programme a été présenté au grand public ? Existe-t-il des supports de valorisation et de sensibilisation ?

Différents supports de sensibilisation ont été créés afin de faire connaître le programme sur l’ensemble de la région et auprès d’un public large.
Nous semblant indispensable de rendre disponible et compréhensible les publications scientifiques, comme le programme « Sentinelles du climat », nous avons réalisé une exposition itinérante et destinée au grand public. Elle présente, à l’échelle néoaquitaine, les effets du changement climatique sur la biodiversité qui s’ajoutent aux autres impacts humains. Rencontrant un certain succès, elle a été empruntée par différentes structures régionales (CPIE, réserves naturelles, Muséum d’histoire naturelle, etc.) ainsi que par plusieurs des partenaires du programmes (Département de la Gironde, Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, etc.).

 

7) Quelles sont les perspectives envisagées pour le programme ?

Nous souhaitons nous intéresser aux questions de conservation des espèces, prendre en considération des micro-habitats (par exemple une haie ou un arbre peut créer des variations thermiques pouvant influencer la parcelle où ils se trouvent) et faire évoluer le protocole, notamment en réduisant la fréquence et le nombre de suivis.
Le littoral néoquitain présente 200 km quasi continus de dune grise qui a été stabilisée, au cours du 19ème siècle, par la plantation de forêts de pins. Il nous semble intéressant de poursuivre les travaux sur ce milieu en nous focalisant sur des secteurs présents à l’intérieur des terres : nous observerons ainsi l’évolution des cortèges d’espèces sous l’influence du changement climatique et sans intervention humaine. A contrario, les paysages des Pyrénées sont façonnés par l’agriculture et les plantations, facteurs s’ajoutant aux évolutions climatiques.
La LPO et le CBN SA ont coordonné un programme sur les réservoirs de biodiversité (ou hotspots) en Nouvelle-Aquitaine sur lequel nous pourrions nous appuyer afin d’étudier la résilience des milieux étudiés.

Avec certains partenaires du programme, nous avons déposé une demande de financement auprès du FEDER. Le Département de la Gironde, la Région Nouvelle-Aquitaine et l’Europe poursuivent leur appui financier.

 

8) Quelles sont les applications possibles à court et moyen termes des « Sentinelles du climat » pour les acteurs qui souhaitent s’engager ?

Site suivi © Cistude Nature

N’importe qui peut s’engager en faveur de la biodiversité. La France est un pays fortement peuplé et qui a été façonné par l’Homme et ses différentes activités. Aucune maille de 10km x 10km de la carte de l’Homme, réalisée dans le cadre de l’atlas des mammifères en Aquitaine avec la LPO, n’est exempte de la présence humaine (dunes, forêts, plaines, montagnes, etc.). Il est nécessaire que nous travaillions tous ensemble.
Nous aurons besoin d’espaces ombragés, il sera donc nécessaire de planter (Où ? Comment ? Quelles espèces ?). Mais il serait aussi nécessaire de laisser des espaces ouverts, indispensables pour les espèces qui y sont adaptées. La plantation d’arbres peut être une alternative pour les milieux urbains qui subissent de plein fouet le choc du changement climatique et les aléas de plus en plus fréquents et forts. A la périphérie des villes, les ceintures vertes sont aussi bénéfiques pour les habitants.

Faut-il continuer d’intervenir sur certains milieux ou vaut-il mieux aller vers le réensauvagement (ou rewilding en anglais) ? Il peut être intéressant voire nécessaire de « laisser faire la nature ».

 

9) Quelles sont vos principales satisfactions liées à ce projet ?

Nous avons pu construire un réseau d’acteurs hétérogène (associations, universités, laboratoires de recherches, établissements publics, etc.), nous amenant ainsi à travailler avec de nombreux partenaires techniques. Par exemple, le CNRS et le CBN SA ont investi le volet floristique, avec une approche par habitat et milieu. Il est intéressant et important de croiser plusieurs disciplines.
Nous avons constaté une augmentation du nombre d’études portant sur la notion de milieux naturels et de résilience. Les principaux résultats montrent que plus les milieux sont en bonne santé avec une multitude d’espèces, mieux ils résistent aux différents intrants (virus, changement climatique, espèces exogènes, etc.). Plus ils sont dégradés ou transformés, moins ils sont capables de résister aux parasites ou nouveaux arrivants.

 

10) Quel message ou conseil souhaiteriez-vous partager aux autres acteurs de la région (thématique, types de publics/institutions, méthodologie, etc.) ?

Nous sommes trop intervenus sur les milieux naturels, même dans nos métiers, et les changements opèrent rapidement. Une espèce qui est commune à l’instant T peut voir ses populations réduire très vite (exemple du moineau domestique, de la mésange, de papillons, d’amphibiens, etc.).
Il est nécessaire de travailler ensemble, d’écouter les différents usagers du territoire (pêcheurs, agriculteurs, etc.) qui peuvent témoigner des changements. Le moindre espace doit être un puits de biodiversité et il y a urgence à regarder le vivant différemment, en ne le considérant pas seulement via ce qu’il peut nous apporter (services écosystémiques).

 

 

PRÉSENTATION DES MISSIONS DE CISTUDE NATURE

Créée en 1995, l’association Cistude nature œuvre à la protection de la nature par la réalisation de programmes de conservation d’espèces, la synthèse de connaissances sur la répartitions d’espèces et la gestion écologique d’espaces naturels. La structure vise également un objectif de sensibilisation à l’environnement et au développement durable, notamment en se déplaçant en classe ou dans les centres de loisirs pour animer des activités participant à cette sensibilisation. Elle est aussi la coordination d’un programme scientifique évaluant l’impact du changement climatique sur des espèces particulières et leur milieu de vie, les « Sentinelles du climat ».

 

 

Pour aller plus loin :

Si vous le souhaitez, vous pouvez à votre tour faire connaître une ou des initiatives en téléchargeant la note explicative et en envoyant votre proposition par mail. L’agence étudiera les textes au regard de critères d’éligibilité et vous accompagnera dans leur finalisation.