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Entretien avec Eddy Renaud, Technicien supérieur en gestion forestière et Responsable technique à Arbres et Paysages 33

Propriétaire de plusieurs parcelles agricoles sur son territoire, Bordeaux métropole a souhaité expérimenté le principe d’agroforesterie. En 2015, elle choisit donc des terrains sur la presqu’île d’Ambès, déjà en culture et pouvant accueillir des lignes de plantations d’arbres. Soutenue par Arbres et Paysages 33, elle amène l’agriculteur en place à diversifier les espèces végétales présentes sur la parcelle et les produits qu’elle peut fournir (culture, pâturage, bois, etc.). Le secteur d’Ambès est soumis à de fortes variations de niveaux d’eau, ce qui demande aux individus en place d’être adaptés à des conditions sèches et très humides. Avec une majorité de frênes plantés, la parcelle a beaucoup évolué depuis sa mise en place.

 

  • Avant d’en connaître d’avantage sur l’expérimentation que vous avez menée, pouvez- vous nous expliquer en quoi consiste l’agroforesterie ?
© Arbres et Paysages 33

Le rôle des arbres est multiple : production de bois d’œuvre ou de chauffage, pompe à nutriments et drainage des parcelles via le système racinaire (porosité du sol, meilleure infiltration de l’eau dans le sol), création d’un microclimat sur la parcelle (ombrage, protection éventuelle contre le gel).

A mon sens, l’intérêt de cette pratique est d’associer une culture, quelle qu’elle soit, à des arbres diversifiés si possible, ce qui permet d’apporter de la diversité aux cultures. Il peut être intéressant de varier les densités de plantations (espacements entre les individus) sur les lignes de plantation de manière à rompre les structures paysagères rectilignes, caractéristiques notamment des paysages girondins. Il est toutefois possible de faire de l’agroforesterie avec une seule espèce arborée, comme le noyer qui est un arbre rentable, mais cela reste un jeu dangereux face aux aléas du marché et aux problèmes sanitaires émergents.

Cette démarche demande à l’agriculteur, propriétaire de la parcelle, d’être sensibilisé à la notion d’agroforesterie ou formé à la gestion des arbres. Il faut réfléchir et identifier le rôle des arbres pour bien choisir les espèces en conséquence et adapter les espacements entre les individus. Les arbres nécessitent d’être gérés sur la durée et accompagnés (redresser une gaine, protéger face à la prédation des herbivores ou l’attaque de ravageurs). Il est important d’être vigilant pour éviter toute perte d’individus, d’autant plus pour les densités de plantations qui sont faibles en agroforesterie (50 à 100 tiges/hectare). Cette surveillance est la plus efficace lorsque la parcelle agroforestière est à proximité du siège de l’exploitation.

 

  • Quel était l’objectif de l’expérimentation menée avec Bordeaux Métropole ?

La Métropole a de nombreuses parcelles en propriété, notamment en zones de marais comme c’est le cas sur la presqu’île d’Ambès. L’objectif principal de la parcelle était d’en faire une parcelle de démonstration et de diversifier les structures paysagères (haies, lisières de bois, trognes, arbres hybrides, etc.), grâce à la présence d’un exploitant. Elle a été choisie car elle était déjà gérée par un exploitant et qu’elle se prêtait bien à l’agroforesterie, de par sa forme et sa situation.

NB : une trogne, ou arbre paysan, est un arbre qui permet de récolter de la biomasse (bois d’œuvre, bois de chauffage, etc.) sans devoir l’abattre. On écime un jeune plant à la hauteur voulue. D’un point de vue écologique, ces arbres finissent par se creuser, créant ainsi des niches écologiques intéressantes pour la faune.

 

  • Est-ce que cette action s’inscrit dans un programme particulier du territoire ?

Je pense qu’il y avait une volonté de répéter le modèle sur d’autres secteurs de la métropole. Nous avons proposé de mettre en place une parcelle agroforestière et la collectivité a trouvé un foncier disponible sur le secteur de la presqu’île d’Ambès.
Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives au sujet de cette expérimentation récente et l’approche serait différente sur d’autres secteurs, comme la vallée maraîchère d’Eysines par exemple. En maraîchage, les attentes sont autres : la tendance vise à associer production fruitière (très déficitaire dans notre département) et plante potagère.

 

  • Est-ce que l’exploitant a été intégré aux réflexions pour expérimenter l’agroforesterie sur la parcelle ? Comment le contact avec l’exploitant a-t-il été pris et comment les échanges se sont-ils passés ?

L’exploitant agricole d’Ambès a été associé au projet dès le départ. Il s’est montré ouvert à la discussion et n’a jamais montré d’hostilité au projet. Nous avons rendu visite à un exploitant, considéré comme l’un des pionniers de l’agroforesterie et situé dans le nord de la région. Il gère des parcelles en grande culture, très bien structurées et qui ont 40 ans d’âge. Contrairement à la presqu’île d’Ambès, c’est de l’agroforesterie en monoculture (noyer, merisier, etc.). L’intérêt de cette visite a été de montrer à l’agriculteur d’Ambès que le modèle existe et lui donner l’opportunité d’échanger avec un pair, qui a les mêmes contraintes dans la mise en place de ses cultures.

 

  • Le choix des espèces s’est basé sur leur adaptation aux zones humides et leur présence locale sur le site. Est-ce que d’autres critères ont été pris en compte dans ce choix ?

« Le sol nous rappelle à la loi très vite ». Nous avons essayé de nous conformer aux contraintes importantes du milieu, ce qui a considérablement limité la palette d’espèces. Nous avons aussi tenté de planter des espèces ayant des besoins en eau supplémentaires, comme l’Aulne glutineux, dans les portions d’anciens fossés comblés (aussi appelés « flashs de zones humides »). La principale difficulté est de faire pousser des arbres dans des milieux hostiles, avec des sols soumis à d’importantes variations de niveaux d’eau.

Aujourd’hui, c’est le frêne qui est en place sur ces terrains et je pense que l’orme était aussi présent auparavant. C’est une espèce qui est observable dans les marécages grâce à sa capacité à supporter des périodes très humides puis très sèches. Malheureusement, ces deux espèces sont en proie à des maladies redoutables.

De manière plus générale, nous devons trouver les panels d’essences capables de supporter de fortes amplitudes d’humidité et de chaleur.

 

  • Qui a fait le choix de ces espèces et où les plants ont-ils été acquis ?

Nous avons travaillé avec la Direction de la Nature de Bordeaux Métropole et avons fait le choix des espèces, en nous appuyant sur les études de sol réalisées par Solenvie. Les résultats ont confirmé les problématiques d’hydromorphie de la parcelle.
Le frêne occupe actuellement 70% du paysage, avec quelques individus de chênes. Le choix des arbres semble être adapté au milieu mais nous n’avons pas pu anticiper le phénomène de maladie propre à cette espèce, la chalarose. En pleine expansion dans le Nord, elle commence à apparaître sur le territoire girondin ce qui risque de modifier considérablement nos paysages.

 

  • Les jeunes pousses sont protégées par des gaines Climatic Agroforestières. En quoi consistent-elles ? Existe-t-il d’autres systèmes pour protéger les plants ?
© Arbres et Paysages 33

Mesurant près de 20 cm de diamètre et 1,20 m de haut, ces gaines permettent de protéger l’arbre contre la prédation des cervidés et des rongeurs (lapins, chevreuils, etc.), les premières années. Si le cerf est présent, il est obligatoire de clôturer la parcelle agroforestière. Il n’existe aucune protection individuelle permettant de protéger les plants face à l’attaque de cet herbivore.
Les gaines sont aussi dites climatiques de par leur effet brise-vent qui réduit l’évapotranspiration en leur sein et permet une meilleure croissance des plants. Elles sont maintenues en place tant que l’arbre ne vient pas en appui sur elles. Cependant, lorsque les gaines sont retirées, l’arbre peut être vulnérable au vent car le système racinaire ne s’est pas développé de manière optimale.

La protection des plants n’est pas évidente à mener sur le secteur d’Ambès du fait de la forte présence de gibiers (chevreuil, sanglier). Malgré l’implantation de protections individuelles (piquet et gaine), le sanglier arrive à faire pencher les arbres en fouissant au pied de ceux-ci.

 

  • A présent, qui assure le suivi et l’entretien de la parcelle ? En quoi cela consiste-t-il ?

Nous continuons de suivre la parcelle, notamment pour la taille de formation des arbres. Lors de notre visite effectuée au printemps dernier, nous avons découvert une parcelle à l’abandon (l’exploitant semble avoir cessé son activité) et à l’état de friche (phénomène très rapide dans le secteur, avec l’implantation aisée d’espèces invasives comme le Baccharis, le Datura, etc.).
La taille des arbres est assez limitée par rapport à une parcelle en sol riche sur des alluvions car le sol est constitué d’argiles qui travaillent énormément (engorgement en hiver, fentes de retraits en été). De manière générale, le terrain du bec d’Ambès est contraignant, faisant par exemple que les frênes n’atteignent pas des tailles gigantesques (seulement une dizaine de mètres). Le facteur sol est un facteur très limitant sur la zone.

 

  • Est-ce que la parcelle a gardé son statut agroforestier ? Dans quel état se trouve-t-elle ? A-t-elle connu des évolutions ?

La parcelle est actuellement à l’abandon. Avant la mise en place de la démarche agroforestière, l’exploitant agricole effectuait des rotations sur la parcelle (blé, maïs, tournesol). Ses cultures étaient souvent mises à mal à cause d’inondations régulières de part des afflux importants d’eau et il devait ressemer très souvent. L’agroforesterie était une solution temporaire.
Aujourd’hui, il reste très certainement des reliquats de cultures de luzerne, plus du développement de la végétation spontanée. La croissance des arbres est inégale mais ils arrivent à se développer, à rester en place. Pour que le système agroforestier fonctionne, il faut qu’il y ait de l’agriculture et cela a moins de sens de le faire au milieu d’une friche.

 

  • Avez-vous planté ou accompagné la mise en place d’autres parcelles agroforestières ?

Nous avons mis en place un certain nombre de parcelles agroforestières sur le territoire girondin (entre 60 et 80 ha). Le parcellaire le plus important doit se situer à Barsac, sur une propriété viticole en bord de Garonne. La démarche a été adoptée sur différentes parcelles (grandes cultures, viticoles), auxquelles ont été associés des arbres fruitiers. Ce sont des modèles qui ont été répétés à plusieurs reprises et sous différents formats.
La démarche prend d’avantage chez les viticulteurs qui se sont approprié le sujet (haie, agroforesterie intraparcellaire caractérisée par la plantation d’arbres dans les parcelles).

 

  • Quelles sont vos principales satisfactions liées à ce projet ?

Nous avons pu mettre en place la parcelle sur la presqu’île d’Ambès et l’accompagner sur les premières années, ce qui est capital. L’intérêt d’une telle démarche est qu’elle apporte du changement dans la vie des exploitants agricole (stimulation, originalité). Ils trouvent aussi un confort de travail.

 

  • Quel message ou conseil souhaiteriez-vous partager aux autres acteurs de la région (thématique, types de publics/institutions, méthodologie, etc.)?

Il est nécessaire d’accompagner la démarche les premières années et par la suite. Si vous n’aimez pas les arbres, que vous les voyez comme un ennemi à abattre ou une contrainte dans le système d’exploitation, il ne faut pas s’engager dans cette voie.
De mon point de vue, on ne peut pas être agriculteur et répéter les mêmes actions, tous les ans et de manière automatique. Il faut essayer des choses. L’agriculture est un champ d’expérimentation extraordinaire et les arbres rentrent dans ce système. Les applications sont infinies.

 

 

PRÉSENTATION DES MISSIONS DE L’ASSOCIATION ARBRES ET PAYSAGES EN GIRONDE

L’association accompagne tous les projets de plantation d’arbres hors forêt en apportant le conseil et la fourniture du matériel nécessaire pour mener à bien les plantations. Nous allons jusqu’à la mise en place et au suivi de ces plantation. Sur la saison 2020/2021, ce sont plus de 60 000 plants qui ont trouvé leur place sur notre territoire de plantation.

Nous sommes engagés dans la production de plants d’origine locale. De fin mars à début novembre, nous récoltons des graines sur plus de 50 espèces différentes pour les mettre en cultures chez nos pépiniéristes. Ce travail nous permet de proposer des arbres et arbustes correspondant à nos conditions pédoclimatiques actuelles. Il est cependant pertinent de s’adapter à l’évolution climatique en marche en essayant des espèces du pourtour méditerranéen avec certaines précautions (caractère invasif, amplitudes thermiques et hydriques supportées, etc.).
Nous assurons aussi la transmission de ces bienfaits de la biodiversité à travers des interventions pédagogiques que nous dispensons dans les établissements scolaires de la région.

Enfin, nous avons une mission de bureau d’étude avec des inventaires paysagers et des préconisations de gestion que nous pouvons proposer aussi bien aux agriculteurs qu’à des collectivités soucieux de s’investir dans le développement durable de nos écosystèmes.

 

 

Pour aller plus loin :

Si vous le souhaitez, vous pouvez à votre tour faire connaître une ou des initiatives en téléchargeant la note explicative et en envoyant votre proposition par mail. L’agence étudiera les textes au regard de critères d’éligibilité et vous accompagnera dans leur finalisation.