Besoin d'un conseil

Entretien avec Eve-Marie Ferrer, paysagiste à la ville de Niort

En 2014, le premier cimetière naturel a ouvert ses portes en France. Aménagé par la Ville de Niort en plein cœur du quartier du Souché, il offre aussi un bien espace de mémoire et de recueillement pour les familles que de balade et de fraîcheur pour les promeneurs.
Comment l’idée a-t-elle émergé ? Comment ce nouvel espace fonctionne-t-il ? Quel mode de gestion est appliqué ? Est-ce que de nouvelles pratiques ont vu le jour depuis ? Eve-Marie Ferrer raconte la genèse du projet et présente cette nécropole encore unique en France.

 

1) Pourquoi avoir réalisé un cimetière naturel ?

Entrée © Peter Mauduit

La personne à l’origine du projet est maintenant à la retraite. Conservateur des cimetières de la ville de Niort, il avait déjà commencé à les végétaliser en plantant des arbres ainsi que des haies, en engazonnant certaines allées. En 2010, il est venu me parler de son idée de « cimetière naturel » et m’a montré la parcelle qui lui semblait être appropriée pour y réaliser cet aménagement. Nous nous sommes tous les deux dit que nous pouvions « faire quelque chose d’innovant et développer un concept qui n’existait pas encore en France ». Tout était donc à imaginer.

En plus d’être en phase pour réaliser ce projet, nous étions encouragés par les élus municipaux. Le projet a été rapidement accepté par la collectivité.

 

 

2) Est-ce que les habitants ont été associés au projet (conception, fonctionnalités, etc.) ? Si oui, comment cela s’est-il passé ?

La co-construction est d’avantage utilisée pour des projets à plus grande échelle, faisant intervenir des maitrises d’œuvre externes. Dans le cas du cimetière naturel, tout a été fait en interne avec la participation de nombreux corps de métier et régies de la collectivité.

Il nous a fallu plusieurs années pour imaginer le concept, rechercher d’éventuels retours d’expériences et voir comment les adapter au territoire de Niort. En 2013, nous avons organisé une réunion publique à destination des habitants pour les tenir informés du projet en cours d’élaboration. Nous nous sommes également appuyés sur la presse locale et les conseils de quartier pour poursuivre la communication. Mais nous aimerions proposer aux habitants d’autres moyens permettant de rassembler leurs retours comme par exemple des boîtes à idées. Cela serait complémentaire aux échanges que nous avons avec eux, lorsque nous sommes présents au cimetière.

 

 

3) Comment s’est fait le choix de la parcelle ?

Dès l’émergence de l’idée, la personne à l’origine de la réalisation du cimetière avait rapidement identifié une parcelle. Cette dernière était idéale à plusieurs titres : elle jouxtait le cimetière traditionnel et présentait des arbres magnifiques en son sein. Rachetée par la ville plusieurs années auparavant, elle n’était pas exploitée. C’était donc la parcelle idéale pour mettre en œuvre l’aménagement auquel nous pensions. Nous ne partions pas d’une page blanche.

Nous avons fait intervenir un hydrogéologue qui a pu nous confirmer qu’il était possible d’inhumer les corps en pleine terre et que le risque potentiel de contamination de la nappe phréatique était écarté.

 

 

4) Pouvez-vous donner des précisions sur le mode de gestion pratiqué dans le cimetière ?

En 2017, l’association Deux-Sèvres Nature Environnement (DSNE) a réalisé un diagnostic floristique de la parcelle et nous a fait des préconisations en termes de gestion. De ce fait, nous avons engagé une gestion différenciée du terrain. Les allées secondaires sont tondues une fois par semaine et le reste du site, notamment laissé en prairie haute, est entretenu une à deux fois par an par l’intermédiaire de la fauche. Ces pratiques sont principalement réalisées en septembre, octobre pour éviter les périodes de pontes et de nidification de la faune présente. Ceci est inscrit dans le rapport fourni par l’association DSNE. Les strates arbustives sont taillées une fois par an et les arbres sont élagués.

Dans le cadre de l’extension du cimetière naturel, nous avons dû arracher une partie de la haie séparant l’aménagement déjà existant de celle qui a été choisie pour agrandir le cimetière. Les travaux ont été réalisés au mois de juin, période où les agents municipaux sont les plus nombreux et où les machines sont facilement mobilisables. Dans certaines situations, nous sommes donc obligés de nous adapter à des critères autres que l’écologie du milieu et des espèces présentes.

 

 

5) Pouvez-vous préciser le contenu de la charte ?

Espace funéraire © Peter Mauduit

Rédigée en premier lieu à destination des familles des défunts et des opérateurs funéraires, elle pose le cadre à l’ensemble des usagers du cimetière naturel. Elle est propre à ce site et ne pourrait être rendue obligatoire dans les autres cimetières de la ville. Préparation des corps, types de cercueils et d’urnes, pupitres d’identification et fleurissements de la tombe, nous présentons ce qu’il est possible de faire sur le site. Par exemple, nous encourageons les familles et les opérateurs funéraires à limiter le plus possible les soins du défunt car ils sont polluants et à privilégier des habits en fibres naturels (lin, coton, chanvre). Nous sommes plus exigeants en ce qui concerne les cercueils et les urnes qui doivent être les plus basiques possibles (sans vernis, sans peinture, sans poignées, sans capitons en plastique).

Les caveaux en béton étant exclus, l’inhumation est faite en pleine terre et les familles peuvent fleurir le dessus de la tombe en y plantant des essences. Un vase est aussi mis à disposition pour des fleurs coupées, qui doivent être naturelles. Nous proposons une liste de plantations à titre indicatif mais les familles agrémentent généralement les tombes selon leur goût. Les notions de local, exotique, champêtre ou horticole ne sont pas forcément connues de tous. Nous sommes, dans certains cas, obligés d’intervenir et enlever ce qui a été planté (mimosas, eucalyptus et autres grands arbres). Ceci n’est pas fait sans échange avec les familles. Soit les agents responsables de l’entretien du site rencontrent les familles et échangent avec elles sur place. Soit nous envoyons un courrier faisant part de la difficulté rencontrée et la nécessité d’enlever l’essence plantée. Nous intervenons de la même manière en ce qui concerne les objets déposés sur les tombes, comme les plaques de marbre ou granit qui ne sont pas autorisées.

 

Nous avons des choses à améliorer pour que les usagers du lieu respectent mieux la charte. Il y a de plus en plus d’objets, de pots, de plantes artificielles voire même des essences exotiques et/ou invasives. La charte à venir avec l’extension sera plus stricte et nous renforcerons la communication en installant une signalétique à l’intérieur du cimetière.

 

 

6) Le label LPO permet de réaliser des suivis naturalistes sur le site. Pouvez-vous nous donner des détails sur les espèces qui ont été observées ?

L’inventaire réalisé par l’association DNSE en 2017 a permis de fournir une liste d’espèces intéressante. Lorsque vous vous rendez dans le cimetière, vous pouvez observer des écureuils, des hérissons, le Roitelet triple bandeau, le Rouge-queue à front blanc et même entendre le crapaud Alyte accoucheur. La prairie est propice au développement de différents trèfles, d’orchidées (Ophrys abeille, Orchis pyramidale par exemple) et du serpolet. Il est accompagné de son papillon, l’Azuré du Serpolet.

 

 

7) Est-ce que les usagers se sont approprié les lieux ? Percevez-vous des changements de pratique et de comportements depuis l’ouverture de ce lieu ?

Arbre des printemps © Peter Mauduit

Les familles viennent régulièrement entretenir le petit jardin autour de la tombe. Il y a beaucoup de niortais, de gens de passage et de randonneurs qui passent par cet espace. Le site fait partie des lieux à visiter proposés par des associations de randonnées. Des riverains viennent également pique-niquer, profiter de cet îlot de fraîcheur.

La réalisation du cimetière naturel a globalement été bien accueillie. Un riverain du cimetière traditionnel avait peur qu’il y ait du bruit lors des cérémonies et nous avons dû le rassurer. Nous pensons que la réalisation de cet aménagement permet de faire parler du sujet de la mort autrement, qui est encore très tabou, et de son impact sur l’environnement. Ça permet aussi d’ouvrir les mentalités, de montrer qu’il est possible de faire autrement et d’aller vers quelque chose de plus paisible et bénéfique pour les familles. Notre but est d’en faire un lieu de vie, où la nature reprend ses droits, où l’on se sente bien et où l’on puisse faire son deuil avec plus de légèreté. Nous voyons les familles prendre le temps de jardiner et les enfants viennent jouer.

Les personnes qui viennent sur le lieu ont l’air content et serein, et c’est important. C’est une expérience positive. Aucun vol de matériel ni de dégradation de la végétation n’ont été constatés jusqu’à présent.

 

 

8) Est-ce que la gestion des autres cimetières a été revue/modifiée, depuis l’aménagement de ce cimetière ?

Nous avons une dizaine de cimetières en gestion car plusieurs petites communes ont été rattachées à Niort. Dans chacune d’elle, il y avait une église, une école et un cimetière. Après avoir aménagé le cimetière naturel, nous avons proposé aux élus d’engazonner toutes les allées des cimetières traditionnels pour anticiper l’arrêt des produits phytosanitaires. Cette initiative a été bien accueillie. Une entreprise a enherbé l’ensemble des allées et nous avons semé de la prairie fleurie sur les contours des cimetières. Nous avons aussi planté des massifs, des arbustes et des arbres dans un certain nombre de sites. Ça prend beaucoup de temps et d’argent mais il n’y a plus aucun produit phytosanitaire d’utilisé.

Les opérations les plus délicates concernent les inter-tombes et les petites zones difficiles à entretenir au rotofil dans les vieux cimetières. Les plantations (sedums, pâquerettes, différents mélanges) entre les tombes n’ont pas forcément bien fonctionné. Nous sommes est en lien avec d’autres communes et voyons que ce sujet reste encore compliqué.

 

 

9) Où en êtes-vous dans le projet d’extension du cimetière ?

Prairie © Peter Mauduit

Ouvert depuis 2014, nous estimons que le cimetière naturel est arrivé à saturation, bien qu’il reste des espaces vacants. Nous avons volontairement laissé des espaces de nature dans le cimetière ainsi que des zones vierges autour des arbres pour impacter le moins possible leurs systèmes racinaires.

En 2015, nous avions acheté la parcelle qui jouxte le cimetière naturel actuel. Exploitée auparavant comme un champ de céréales, elle était devenue un terrain nu et nous l’avons faite entretenir par un troupeau de chèvres pour enlever la strate ligneuse (ronces et autres plantes épineuses). Le terrain obtenu était plus facile à aménager.

Début 2023, les travaux ont démarré avec la création d’une grande allée de calcaire au milieu du site et dans la continuité de l’allée du cimetière naturel déjà existant. Nous avons repris le même dessin d’aménagement que ce dernier tout en plantant des arbres et en ciblant l’emplacement des futurs chemins et tombes, avec l’appui d’un géomètre. Les agents commencent à tondre les allées et laissent la prairie par endroit, déposent des copeaux sur les zones qui seront boisées pour accueillir les urnes. C’est en train de se dessiner petit à petit, avec d’autres travaux qui seront menés en régie au fur et à mesure. Les agents vont commencer à creuser les tombes à partir de cet été. Les travaux vont être longs et fastidieux car le sol est constitué de calcaire très dur.

Nous prenons notre temps et espérons pouvoir ouvrir cette extension au cours du premier trimestre 2024.

 

 

10) Quelles sont vos principales satisfactions liées à ce projet ?

Nous montrons que les cimetières et la végétation sont compatibles et complémentaires. Également considéré comme un parc, le cimetière naturel est un îlot de fraîcheur supplémentaire pour les niortais. De plus, il coûte moins cher à la création et à l’entretien car il n’y a plus d’enrobé  (matériau le plus onéreux). Une petite collectivité ou un village peut aménager un espace réduit dans son cimetière existant et voir comment il est perçu, comment il fonctionne. Les municipalités peuvent ainsi proposer autre chose à leurs usagers.

Niort est la première commune à avoir réalisé ce type d’aménagement. Il a fallu attendre deux ou trois ans pour que l’Agence France Presse (AFP) vienne faire un reportage. A partir de 2017, nous avons reçu de nombreux appels et de visites de communes de toute la France. Nous avons accueilli très récemment des élus de la région parisienne, de Strasbourg, etc. Il n’y a pas encore eu d’ouverture de cimetière naturel ailleurs, car il y a une sorte d’appréhension par rapport à la population. Mais notre exemple fait beaucoup parler et intéresse de nombreux acteurs. Comme pour d’autres sujets, la transition est longue.

Nous sommes aussi contactés par des associations crématistes, des coopératives funéraires et des particuliers. Nous leur fournissons toutes les informations possibles, leur proposons de partager ça avec leur commune et que leur commune nous appelle par la suite.

 

 

11) Quel message ou conseil souhaiteriez-vous partager aux autres acteurs de la région (thématique, types de publics/institutions, méthodologie, etc.) ?

Pour moi, le cimetière naturel est une alternative facile à mettre en place, peu coûteuse et réversible. Une fois l’ensemble des étapes administratives franchies et la vérification de la législation funéraire, tout est possible. On peut faire une expérimentation dans une petite zone du cimetière, et si ça fonctionne, on élargit la zone. Si jamais cette alternative ne plaît pas, il est possible de revenir sur un modèle plus traditionnel.

Ce type d’aménagement permet d’offrir un espace différent, à moindre frais. Nous avons tout à y gagner.

 

 

 

PRÉSENTATION DES MISSIONS DE LA VILLE DE NIORT

Avec plus de 59 000 habitants, Niort est la «ville-centre» d’une communauté d’agglomération d’environ 121 000 habitants (40 communes). Sa zone d’influence économique (aire urbaine) s’étend sur 74 communes.
Comme 92 autres communes, la Ville de Niort fait partie intégrante du Parc Naturel Régional du Marais Poitevin, deuxième zone humide de France par sa superficie après la Camargue.

Les personnels municipaux et de l’agglomération œuvrent chaque jour pour offrir de nombreux services publics locaux : cantines scolaires, activités après l’école, garde d’enfants, propreté, police municipale, commerces, gestion des déchets, distribution de l’eau potable, soutien à l’économie et à l’emploi, protection de l’environnement, projets urbains, logement, sports et activités culturelles…

 

 

Pour aller plus loin :

Si vous le souhaitez, vous pouvez à votre tour faire connaître une ou des initiatives en téléchargeant la note explicative et en envoyant votre proposition par mail. L’agence étudiera les textes au regard de critères d’éligibilité et vous accompagnera dans leur finalisation.